L’un des charmes d’une randonnée chamelière dans le désert tunisien est qu’il nous arrive parfois de croiser des nomades Chaabane au cœur des dunes.
Les rencontres avec les nomades du désert suivent tout un cérémonial. C’est ça aussi l’un des rythmes du Sahara : ici le temps ne compte pas, on entre dans une autre notion du temps et de l’espace.
Les nomades Chaabane sont issus de la tribu des nomades R’baïa : ils naviguent dans le désert du Grand Erg Oriental, au gré des pâturages et des puits, particulièrement entre le désert d’Algérie et le désert du Sud tunisien. On peut aussi les croiser non loin des oasis du Sud saharien. Ils se déplacent aux rythmes du Sahara, dans le désert, avec leurs troupeaux de chameaux, de moutons et de chèvres, et vivent dans un dénuement extrême.
En général, nous les croisons lorsque nous sommes en randonnée chamelière au printemps, lorsqu’ils s’installent pour les mois chauds non loin de la région de Douz, au Sud de la Tunisie, où ils vendront une partie de leur cheptel.
Réputés pour être des chameliers hors pair, ils sont très respectés dans toutes les régions sahariennes et sont également réputés pour leur baraka, le don de guérir les hommes et les animaux que leur a légué leur ancêtre marabout Sidi Ahmid.
Un exemple de dialogue avec un nomade Chaabane dans le désert tunisien qui illustre bien les rythmes du Sahara :
Salam Aleikoum ! Aleikoum Salam !
Labès (ça va) ? Labès Hamdullah !
Tu viens d’où ? De là-bas…
Tu vas où ? Là-bas…
C’est loin ? Oui c’est loin.
Il faut combien de jours ? Beaucoup…
Combien ? 4 ? Peut-être…
10 jours ? Oui, il faut des jours, beaucoup…
Tu arriveras quand ? Bientôt, Inch’Allah…
En randonnée chamelière dans le vaste désert, nous expérimentons l’un des rythmes du Sahara le plus essentiel : la sieste (!!!) sous un tamari, arbre emblématique de la flore et végétation du Sahara… ou sous une couverture si l’ombre des tamaris ne se déploie pas assez !
Et les rythmes du Sahara… ce sont les rythmes musicaux aussi.
La musique est très présente dans les sociétés sahariennes. Et il existe de nombreux rythmes du Sahara.
Les chants nomades du répertoire traditionnel ont ceci de commun qu’ils abordent principalement les thèmes des chameaux et troupeaux, de la pluie et la sécheresse, des luttes liées à la rudesse de la vie dans le Sahara…. et bien sûr aussi la paix, la fraternité et l’amour !
La musique saharienne et les rythmes du Sahara parle également de l’époque des grandes caravanes qui sillonnaient le désert pour commercer : les céréales, les épices, les étoffes, l’or… tout un système d’échange et de troc existait dans la vastitude de ce grand désert sans frontières : le commerce caravanier.
Les rythmes du Sahara sont eux aussi sans frontières, ils sont donnés au vent.
De l’Atlantique à la Mer Rouge, du désert mauritanien au Grand Erg Oriental en passant par le Grand Erg Occidental, du Tassili N’Ajjer à l’Aïr en passant par l’Ahaggar… les rythmes du Sahara sont joués de la Mauritanie au Maroc, de l’Algérie à la Tunisie, du Mali au Tchad en passant par le Niger.
Au Sahara, la musique est traditionnellement associée à la poésie ou à la danse : elle accompagne les poétesses marocaines et les poètes tunisiens, les danses de l’Ahwach, danse traditionnelle berbère du Maroc, etc. Les rythmes du Sahara sont multiples.
Il existe aussi un type de musique qui est pensée et composée pour la transe. Les chants vont crescendo, le rythme est lent au départ puis s’accélère, la cadence s’accentue. C’est la musique de transe. Elle peut être jouée par exemple à la demande des familles pour une personne malade. Une lilah est alors organisée autour de cette personne (une soirée qui dure toute la nuit). Cette musique est très codifiée, très ritualisée. La personne est progressivement préparée pour sa grande transe, et lorsqu’elle tombe en transe, lorsqu’elle s’évanouit, on dit que le mal l’a quittée.
Il existe plusieurs instruments traditionnels des rythmes du Sahara.
Le bendir (qui ressemble au tambourin que l’on connaît) et le tbal, tambour sur lequel les musiciens frappent avec deux baguettes, sont les deux instruments principaux qui soutiennent les rythmes du Sahara.
Le tindé (Niger, Algérie, Mali) ou derbouka (Afrique du Nord) sont les principaux instruments de percussions de la musique Saharienne, et plus largement du monde arabo-musulman. Ce sont des instruments majeurs dans les rythmes du Sahara.
Pour assurer la rythmique, les musiciens jouent des krakeb, (ou karkabou, karkabu, karkabat) deux pairs de cymbales à mains reliées par une ficelle.
La flûte, sans doute le plus emblématique des instruments du Sahara, est appelée ney ou bengri. Son embouchure est traditionnellement en roseau et parfois elle est conçue avec un simple tube en métal percé.
La flûte est très présente dans les oasis du Sahara, en particulier dans la région du Sud-Ouest de l’Algérie, dans les oasis du Gourara. Le Gourara est une région qui comptent une centaine d’oasis et plus de 50 000 d’habitants, d’origine berbère, arabe et soudanaise : Timimoun en fait partie.
La musique traditionnelle de ces oasis réunit femmes et hommes. Les hommes sont debout en cercle, épaule contre épaule, et un soliste à la flûte est placé au centre du cercle. Les femmes sont assises, battent des mains et chantent des chants polyphoniques : l’ahellil et le tagerrabt de la tradition amazighe des Zénètes du Gourara. Le bendir ponctue les chants polyphoniques.
Ce qui vient par la flûte, s’en va par le tambour.
Proverbe arabe
L’imzad est une vièle monocorde traditionnelle dont la coque est une demi-calebasse recouverte d’une peau (de chèvre en général) et munie d’une corde en boyau épais. On en joue avec un archet rustique. Il est traditionnellement joué assis et accompagne en musique les poèmes et chants.
Dans la culture berbère du Maroc et la culture touarègue d’Algérie, du Niger et du Mali, l’imzad est joué exclusivement par les femmes. La musicienne est assise, l’imzad est placé sur ses genoux, et elle accompagne les chants des hommes où sont évoqués l’honneur guerrier, l’amour courtois, le nomadisme… Alors que dans la région centrale du Maroc, l’imzad est joué indifféremment par les femmes et les hommes.
L’imzad est également utilisé pour faire fuir les mauvais esprits et atténuer les souffrances des malades.
Les pratiques et savoirs liés à l’imzad ont été inscrits à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2013.
L’imzad est l’instrument de musique favori, noble, élégant, par excellence ; c’est lui qui a toutes les préférences, qu’on chante dans les vers, après lequel on soupire quand on est loin du pays, dont il est comme le symbole et dont il rappelle toutes les douceurs ; (…) on en joue aux hôtes qu’on veut honorer.
Charles de Foucauld
Un court reportage sur l’imzad a été réalisé par les journalistes de l’AFP en Algérie, à Tamanrasset : L’imzad, le violon joué seulement par les femmes Touareg
Le guembri (ou goumbri, gembri, gambri, gumbri) est un instrument à cordes composé d’un manche en bois de peuplier, d’une peau de chameau tendue (c’est la peau du cou du chameau qui est utilisée) et de trois cordes (1 majeure, 1 médiane et 1 mineure) en boyaux de chèvre, attachées au manche de l’instrument par des lanières en cuir.
Chaque corde est composée d’un nombre précis d’intestin. Lorsque le guembri est de grande taille on l’appelle hajhouj et c’est particulièrement dans la musique Gnaoua (ou Gnawa), l’un des rythmes du Sahara les plus connus, qu’il est utilisé.
Cet instrument est considéré comme sacré, et magique. Dans certaines régions arabophones du désert saharien, au Maghreb en particulier, le guembri est à la base d’une musique de transe, la hadra, jouée et chantée exclusivement par des femmes. Traditionnellement il y a une soliste au guembri, qui est la Maîtresse de Cérémonie, et les autres femmes lui répondent par la voix ou le battement des mains en s’accompagnant de leur guitare, bendir, flûte…
Une des joueuses emblématiques de guembri était Hasna El Bacharia, musicienne et chanteuse algérienne, fille d’un maître de la musique diwan, ou musique gnaouie algérienne. Hasna El Bacharia est née à Béchar, aux portes du Sahara algérien, au cœur de la région de la Saoura. On a appris son décès le 1er mai 2024.
Béchar est à la croisée de courants musicaux, là où musique bédouine et rythmes berbères se sont imprégnés de la musique africaine venue des Gnawas.
Hasna El Bacharia était surnommée « la rockeuse du désert » et jouait également de la guitare électrique, du luth, du banjo. Elle mêlait musique sacrée et musique profane et était une figure monumentale de la musique Gnawa.
Une autre femme musicienne et chanteuse emblématique de Béchar, Souad Asla, héritière de la tradition Gnawa et de ses transes qui soignent l’âme, a grandi avec Hasna El Bacharia.
« Souad Asla déborde de talent et d’humanité. Sa voix nous emmène aux portes du désert, tandis que sa musique riche en métissages porte une identité forte et un esprit rebelle qui nous laisse entrevoir le futur. ».
Depuis de nombreuses années, Souad Asla et Hasna El Bacharia se sont dédiées corps et âme à la sauvegarde et la transmission des musiques du Sahara algérien : elles sont des ambassadrices de leur culture ancestrale.
Depuis 2002, elles ont débuté une riche collaboration, sensible et habitée, et se sont produites à travers le monde. Elles collaborent également avec des artistes marocains de la tradition Gnawa. Souad Asla a d’ailleurs rencontré en 2006 à Essaouira, au Maroc, un maître gnaoui avec qui elle s’est initiée au guembri.
En 2015 Souad Asla a créé le groupe Lemma, qui se produit depuis 2017 partout dans le monde. Lemma est composé sur scène de 7 femmes, musiciennes et chanteuses, gardiennes d’une tradition séculaire, qui mêlent sacré et profane, brisent les frontières du genre et de l’espace, jouent des musiques autrefois réservées aux hommes…
Voix, mains, percussions (derbouka, t’bal et bendir) et guembri sont leurs instruments de prédilection. Hasna El Bacharia était membre du groupe Lemma.
L’Ami du Vent vous recommande chaudement d’écouter l’émission « Par les temps qui courent » sur France Culture, avec comme invitée Souad Asla : une pépite ! Lien sur l’émission : cliquez ici.
Et aussi le concert du groupe de femmes Lemma à l’Opéra de Rennes : https://www.lairedu.fr/media/video/concert/lemma/