Hérités de l’antique écriture libyque (du nom « Libye » que les Grecs donnaient à l’Afrique, et sans aucun rapport avec l’actuelle Libye), les caractères de l’écriture Tifinagh (ⵜⴼⵏⵗ ou ⵜⵉⴼⵉⵏⴰⵗ, Alphabet berbère latin : Tifinaɣ), originellement gravés ou peints sur roche, pierre, sable, branche d’arbre, écorce, papier, tissu, cuir… sont utilisés officiellement au Maroc pour écrire l’Amazigh, la langue berbère, et se retrouvent dans les pays où la langue touarègue est pratiquée, en particulier dans le Sahara algérien, au Niger, au Mali, au Burkina Fasso et en Libye, et aussi, dans une moindre mesure, dans les territoires berbères de la Tunisie.
En effet, seuls les pratiquants de la langue amazighe (l’une des deux langues au Maroc) et de la langue touarègue ont conservé l’usage de l’écriture Tifinagh.
Les caractères tifinagh les plus anciens que l’on ait pu dater datent du 6e siècle avant JC. On retrouve cette écriture durant toute l’Antiquité, aux époques punique et romaine et jusqu’aux 5e et 6e siècles après JC. Mais il semblerait qu’elle n’ait plus été utilisée au Maghreb à partir du 7e siècle, c’est à dire un siècle avant les invasions arabes du 8e siècle.
Il y a donc près de 3000 ans que des caractères géométriques ont été inscrits sur des roches, et souvent juxtaposés à des peintures ou gravures rupestres : ce sont les plus anciennes traces connues à ce jour de de l’écriture Tifinagh utilisée aujourd’hui par les populations berbères et les populations touarègues d’Afrique du Nord, d’Afrique saharienne et des îles Canaries.
C’est l’une des premières écritures de toute l’Humanité.
Alors que l’usage de cet alphabet disparaissait au Maghreb, les peuples Touaregs du désert du Sahara, sont les seuls berbérophones à avoir toujours conservé l’usage de l’écriture Tifinagh.
On entend parfois, pour désigner l’écriture Tifinagh, le terme Libyque, et inversement. Soyons clairs : le Libyque et le Tifinagh sont deux variantes d’un même alphabet. Le Libyque a plutôt été attribué aux inscriptions découvertes en Afrique du Nord, particulièrement dans des sites archéologiques antiques au Maroc, dans le Nord de l’Algérie ou en Tunisie. On a même parlé d’inscriptions libyco-berbères pour décrire les écritures liées aux gravures et peintures rupestres des zones sahariennes d’Afrique du Nord.
Le Tifinagh a plus spécifiquement été utilisé pour désigner les inscriptions des Touaregs, peuple amazigh (berbère) vivant dans le Sahara algérien, au Mali, au Niger, au Burkina Faso et en Libye.
Tout comme la langue amazighe qui est faite de plusieurs dialectes au Maghreb et dans le désert du Sahara, l’écriture Tifinagh compte un nombre assez conséquent de variantes, qui se sont développées au fil du temps et des régions.
Au Nord de l’Afrique, il a été possible d’identifier au moins deux alphabets différents : l’alphabet libyque occidental et l’alphabet libyque oriental. Dans l’écriture libyque, composée de 24 caractères, les voyelles par exemple ne sont pas transcrites contrairement aux semi-voyelles (y, w) et le doublement des consonnes est ignoré.
Au Sud de l’Afrique, au moins trois alphabets touaregs ont été distingués, et plusieurs autres alphabets sahariens et subsahariens ont été mis à jour. En fait, chaque confédération touarègue a son propre alphabet ! Les alphabets diffèrent légèrement les uns des autres, en particulier du fait de la durée d’existence de l’écriture (qui a donc plus ou moins évolué au fil du temps) et des adaptations liées aux particularités phonétiques de chaque confédération.
Mais d’une manière générale, le tifinagh ancien est très proche du tifinagh actuel de l’Ahaggar (massif du Hoggar en Algérie) et de l’Ajjer (Tassili N’Ajjer en Algérie et en Libye) et les Touaregs arrivent à le lire et l’interpréter : vous le constaterez aisément lors d’un voyage dans le Sahara algérien !
Les trois principaux alphabets touaregs correspondent aux trois grandes formes dialectales de la langue touarègue : le parler en « j » : le tamajaq, le parler en « h » : le tamahaq et le parler en « sh » : le tamasheq. Leur répartition est principalement géographique (on parle le Tamahaq plutôt dans le Sahara algérien, alors que le Tamasheq et le Tamajaq sont plus courants au Niger par exemple) mais pas que : il peut parfois s’agir d’une différenciation sociale. Et dans certaines régions, des Touaregs parlant des dialectes différents cohabitent (c’est le cas dans l’Aïr au Niger par exemple).
Les alphabets Tifinagh étaient à l’origine consonantiques (composés uniquement de consonnes), et comprenaient, selon les variantes dialectales, de 21 à 27 signes de style géométrique.
L’écriture Tifinagh n’a pas cessé d’évoluer à travers l’histoire, en gardant une constance au niveau morphologique et structural : un aspect géométrique fait de traits, de cercles et de points isolés ou associés. Dès 1970, alors que la transmission orale s’amenuise, l’utilisation plus intense de l’écrit a donné lieu à des innovations telles que l’invention de voyelles et semi-voyelles, portant parfois à 33 caractères l’alphabet Tifinagh, comme c’est le cas dans l’alphabet de Foum Chenna situé dans la vallée du Drâa au Maroc.
Chez les populations touarègues, cet alphabet consonantique qui compose l’écriture Tifinagh peut s’écrire verticalement, horizontalement, de gauche à droite ou de droite à gauche, et même en spirale ! C’est l’orientation des lettres asymétriques qui donne le sens de la lecture. Il est utilisé essentiellement pour la correspondance : la littérature, la mythologie et l’histoire sont de tradition orale chez tous les Touaregs, en particulier les Touaregs algériens qui sont nos guides en randonnée chamelière dans le Sahara algérien.
C’est au Père Charles de Foucauld, qui vécu une quinzaine d’années dans le Sahara algérien, particulièrement à Tamanrasset, que l’on doit le dictionnaire touareg-français et un livre de grammaire touarègue. Les travaux de Charles de Foucauld sur l’ensemble de la culture touarègue sont uniques et sont devenus une référence pour la connaissance de cette culture.
Il n’existe pas d’ordre pour énoncer les lettres de l’alphabet Tifinagh. Mais une formule mnémotechnique, citée par Charles de Foucauld contient presque toutes les lettres : « Awa näk, Fadîmata ult Ughnis, aghebbir-nnit ur itweddis, taggalt-nnit märaw iyesân d sedîs. » (C’est moi, Fadimata, fille d’Oughnis : sa hanche ne se touche pas, sa dot est de seize chevaux.).
« Notre écriture à nous est une écriture de nomades parce qu’elle est toute en bâtons qui sont les jambes de tous les troupeaux, jambes d’hommes, jambes de méhara, de zébus, de gazelles, tout ce qui parcourt le désert. Et puis les croix disent si tu vas à droite ou à gauche.
Et les points, tu vois, il y a beaucoup de points. Ce sont les étoiles pour nous conduire la nuit, parce que nous les sahariens, nous ne connaissons que la piste, la piste qui a pour guide, tour à tour, le soleil et puis les étoiles.
Et nous partons de notre cœur, et nous tournons autour de lui en cercles de plus en plus grands, pour enlacer les autres cœurs dans un cercle de vie, comme l’horizon autour de ton troupeau et de toi-même ».
Lors des randonnées au Sahara algérien, l’écriture Tifinagh s’observe principalement sur les roches. En randonnée chamelière, le rythme inhérent au désert du Sahara est propice à la contemplation et à l’attention, vous verrez donc très certainement ces caractères gravés de-ci de-là.
En 1966, une association culturelle, l’Académie Berbère, fut fondée en France avec pour objectif d’établir un alphabet standard sur la base des alphabets Tifinagh utilisés au Maroc et en Algérie. C’est d’ailleurs cette Académie Berbère qui dessina le drapeau amazigh. Dissoute en 1978 face aux pressions du gouvernement algérien sur les autorités françaises, une institution algérienne L’Académie algérienne de la langue amazighe a vu le jour fin 2017, avec pour objectif de normaliser et de perfectionner l’écriture Tifinagh et le Tamaziɣt (l’Amazigh standard).
Au Maroc, portée par le roi Mohamed VI, la reconnaissance de la culture berbère et de la langue berbère, l’Amazighe, comme langue officielle, a obligé les autorités marocaines à s’assurer que la langue berbère devienne une langue écrite fonctionnelle à part entière.
Ainsi, l’Institut Royal de la Culture AMazighe (IRCAM), qui vit le jour le 17 octobre 2001, a œuvré pour la normalisation de l’écriture Tifinagh au Maroc et a mis en place le Tifinagh-Ircam mêlant l’ancienne graphie et de l’innovation contemporaine. L’élaboration de cet alphabet Tifinagh-Ircam composé de 33 caractères permet une écriture simple et exhaustive de l’Amazighe, la langue berbère au Maroc.
Pour apprendre la prononciation des lettres de l’alphabet Tifinagh-Ircam marocain, entraînez-vous en cliquant ici !
Et pour apprendre quelques mots en Amazigh, consultez la page Inspirations de notre site : Les langues au Maroc.